mercredi 9 avril 2008

La reine, l'ouvrière et l'ADN méthyltransférase


Quelques infos sur un article très intéressant paru dans un des derniers Science (Kucharski et al., Science, vol. 319, 1827-1830) qui apporte un début d'explication moléculaire à la différenciation des ouvrières et des reines au sein des sociétés d'abeille.

Petit rappel : Les abeilles mâles (les faux bourdons) sont issus de la parthénogénèse de la reine. Il s'agit du développement de l'ovule sans fécondation par un spermatozoïde et pour cause : la reine ferme le sphincter de sa spermathèque (l'organe qui stocke les spermatozoïdes obtenus lors des précédents accouplements) quand elle produit les mâles. Donc les mâles n'ont qu'un lot de chromosomes alors que normalement on en a deux (un lot de maman, un lot de papa).
Les abeilles femelles sont issus d'une reproduction sexuée avec fécondation (sphincter de la spermathèque royale ouvert). Les abeilles femelles deviennent ouvrières ou reine selon la nourriture reçue : toutes les larves sont nourries avec de la gelée royale pendant 3 jours (la gelée royale est une sécrétion des glandes hypopharyngiennes des ouvrières). Ensuite, seules les futures reines continuent à être nourries de gelée royale (et en grande quantité), les futures ouvrières sont nourries avec un mélange de pollen, de nectar ou de miel dilué. Seules les futures reines développent alors des organes sexuels matures. C'est un des cas les plus clairs de l'influence de l'environnement (ici la nutrition) sur la développement (ici en particulier la différenciation des organes sexuels et aussi sur la morphologie générale).

Comment ça marche au niveau moléculaire ? Les auteurs de l'article suggèrent que c'est une histoire de méthylation de l'ADN et donc de contrôle de l'expression des gènes. Un gène est plus ou moins exprimé selon l'état de l'ADN d'une région appellée promoteur. La méthylation, c'est-à-dire l'ajout d'une fonction chimique CH3 sur les protéines entourant l'ADN ou sur l'ADN lui-même modifie l'état de ce promoteur et donc l'expression du gène.
Les auteurs ont aboli artificiellement la fonction de Dnmt3, une ADN méthyltranférase, une enzyme qui accroche des CH3 sur l'ADN. Dans ce cas, la majorité des larves nourries selon la recette pour donner des ouvrières devient des reines avec des ovaires parfaitement matures ! Ils montrent en plus qu'effectivement la méthylation de certains fragments d'ADN est modifiée entre les futures reines, les futures ouvrières et les futures reines qui ont subi le siRNA et destinées initialement à donner des ouvrières.

Donc on a la démonstration d'une modification sur l'ADN (la méthylation) qui est déterminée par un facteur environnemental (la nourriture) (comment ? mystère pour l'instant...) et qui influence le développement des organes (notamment reproducteur) dans un contexte de société animale.

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