mardi 22 avril 2008

Les fourmis et les champignons


Encore une histoire de société animale mais cette fois-ci concernant les fourmis à travers un article paru dans PNAS (les compte-rendus de l'académie des sciences des USA) : Mueller et al., vol. 105, p. 5287. Elle concerne les fourmis qui cultivent des champignons pour se nourrir, un véritable équivalent d'élevage agricole dans le monde animal. Parmi ces fourmis, il y a les fourmis qui découpent les feuilles et font se développer sur ces feuilles des champignons dans des "niches" bien structurées de leur fourmilière souterraine gigantesque. Ces fourmilières peuvent survivre jusqu'à 20 ans (ce qui est une sorte de record) avec jusqu'à 10 millions d'ouvriers et le volume de champignon cultivés par fourmilière atteint le volume d'un bus. L'avantage de se nourrir de champignons est que le tissu mycélien est beaucoup plus dense et nutritif que le tissu végétal. La co-évolution fourmi-champignon et donc la révolution néolithique myrmécorienne a commencé il y a 50 millions d'années. Pendant 30 à 40 millions d'années, les fourmis prélevaient un morceau de champignon "sauvage" poussant dans la nature pour la fondation de chaque nouvelle fourmilière. Puis, il y a eu passage à un système plus fermé où les champignons se transmettent de fourmilière en fourmilière, la nouvelle reine emportant un morceau de champignon avec elle. Ce qui a changé la donne, car les populations de champignons cultivés n'échangent plus de gènes avec les populations "sauvages", ce qui a encore plus renforcé leur spécialisation et leur co-évolution avec les fourmis. La situation devient encore plus complexe lorsqu'on considère que les fourmis abritent sur leur cuticule une bactérie qui produit des molécules qui protègent les champignons contre un parasite du genre Escovopsis. Donc les fourmis fournissent à leurs champignons le gite, le couvert, la soupe et la pharmacie !

mercredi 9 avril 2008

La reine, l'ouvrière et l'ADN méthyltransférase


Quelques infos sur un article très intéressant paru dans un des derniers Science (Kucharski et al., Science, vol. 319, 1827-1830) qui apporte un début d'explication moléculaire à la différenciation des ouvrières et des reines au sein des sociétés d'abeille.

Petit rappel : Les abeilles mâles (les faux bourdons) sont issus de la parthénogénèse de la reine. Il s'agit du développement de l'ovule sans fécondation par un spermatozoïde et pour cause : la reine ferme le sphincter de sa spermathèque (l'organe qui stocke les spermatozoïdes obtenus lors des précédents accouplements) quand elle produit les mâles. Donc les mâles n'ont qu'un lot de chromosomes alors que normalement on en a deux (un lot de maman, un lot de papa).
Les abeilles femelles sont issus d'une reproduction sexuée avec fécondation (sphincter de la spermathèque royale ouvert). Les abeilles femelles deviennent ouvrières ou reine selon la nourriture reçue : toutes les larves sont nourries avec de la gelée royale pendant 3 jours (la gelée royale est une sécrétion des glandes hypopharyngiennes des ouvrières). Ensuite, seules les futures reines continuent à être nourries de gelée royale (et en grande quantité), les futures ouvrières sont nourries avec un mélange de pollen, de nectar ou de miel dilué. Seules les futures reines développent alors des organes sexuels matures. C'est un des cas les plus clairs de l'influence de l'environnement (ici la nutrition) sur la développement (ici en particulier la différenciation des organes sexuels et aussi sur la morphologie générale).

Comment ça marche au niveau moléculaire ? Les auteurs de l'article suggèrent que c'est une histoire de méthylation de l'ADN et donc de contrôle de l'expression des gènes. Un gène est plus ou moins exprimé selon l'état de l'ADN d'une région appellée promoteur. La méthylation, c'est-à-dire l'ajout d'une fonction chimique CH3 sur les protéines entourant l'ADN ou sur l'ADN lui-même modifie l'état de ce promoteur et donc l'expression du gène.
Les auteurs ont aboli artificiellement la fonction de Dnmt3, une ADN méthyltranférase, une enzyme qui accroche des CH3 sur l'ADN. Dans ce cas, la majorité des larves nourries selon la recette pour donner des ouvrières devient des reines avec des ovaires parfaitement matures ! Ils montrent en plus qu'effectivement la méthylation de certains fragments d'ADN est modifiée entre les futures reines, les futures ouvrières et les futures reines qui ont subi le siRNA et destinées initialement à donner des ouvrières.

Donc on a la démonstration d'une modification sur l'ADN (la méthylation) qui est déterminée par un facteur environnemental (la nourriture) (comment ? mystère pour l'instant...) et qui influence le développement des organes (notamment reproducteur) dans un contexte de société animale.